Je me propose d'examiner un problème, en apparence ponctuel, dans le vaste champ encore mal exploré de l'histoire de la grammaire (et de la connaissance): il s'agit de réfléchir sur l'adjectif, qui passe d'ordinaire pour quelque chose d'evident. Un écolier ne sait-il pas ou ne croit-il pas savoir ce que c'est? Cependant cette partie du discours n'a pas été conçue toujours de la même façon: c'est seulement en 1910 qu'a été reconnu ou plutôt décidé en France par arrêté ministériel le statut officiel de l'adjectif en tant que catégorie grammaticale indépendante, parallèle à celle du nom. Auparavant, à l'âge classique au moins, tous les écrivains (philosophes, grammairiens, littéraires), à deux ou trois auteurs près, l'appréhendaient comme une espèce de mots qui partage le genre du nom avec l'autre espece: le substantif. J'essaierai ici de mettre en lumière la théorie de l'adjectif des auteurs de Port-Royal: Lancelot, Arnauld et Nicole, représentants par excellence des grammatistae philosophantes. Pour ce faire j'aborde, entre autres, trois questions principales: 1 . Quel système solidaire le logique et le grammatical constituent-ils dans le discours de la Grammaire générale et raisonnée? 2 . Si cette Grammaire fonde vraiment la notion du nom adjectif, comment et sur quelle base le fait-elle? Ou ne suit-elle pas simplement l'usage, c'est-à-dire la tradition terminologique de l'Ecole? 3. Quelle est la signification de la série de corrections (suppressions systématiques du terme “accident” remplacé par d'autres) qu'apporte La Logique ou l'art de penser (5e édition), lorsqu'elle reproduit dans le corps de son discours le texte de la Grammaire? En réfléchissant à ces questions, j'aurai occasion de réexaminer les interprétations respectives de nos éminents précurseurs sur la linguistique de Port-Royal: N. Chomsky et M. Foucault.